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DIALOGOS

       Tout ce qui est vivant part d’une matière organique, raison pour laquelle le bois est au centre de cette démarche. À force de travail, d’efforts et de temps, nécessaires à la construction de toute chose, les lignes apparaissent. Plates d’abord, comme une esquisse qui n’a pour l’instant qu’une forme abstraite. Mais peu à peu les volumes se creusent sur la surface et le dessin se transforme en relief. Nous reconnaissons les formes car elles sont inscrites dans notre mémoire commune, et cependant elles nous semblent nouvelles, intemporellement nouvelles, comme un langage que nous parlons sans nous en apercevoir. En revanche, il reste une certaine insatisfaction, car malgré la présence indéniable d’une expression ancestrale, nous percevons aussi la matière organique qui est le principe et par conséquent aussi la fin de toute chose. La disparition éventuelle de cette matière nous confronte par miroitement à la nôtre, raison pour laquelle nous ressentons un besoin de transcendance, d‘immortalité, de pérennité. C’est ainsi que le minéral vient en appui de la fragilité du bois. De la sorte les formes gravées dans le bois se métamorphosent en métal dans l’espoir d’avoir une trace inaltérable. Mais avant de retrouver la stabilité du bronze, les formes prennent les apparences les plus fragiles, car la fragilité précède toujours la force. Elles disparaissent d’abord pour ne devenir qu’une empreinte molle dans le silicone du moule et revenir en suite en cire , puisque les rêves de transcendance et d’envol se fabriquent souvent des ailes en cire. Puis, l’alchimie est faite et arrive le métal froid, dur, lourd, minéral. Nous pouvons encore percevoir les empreintes du bois avec ses veines et ses cassures, mais elles ne sont plus signe de fragilité. Le dessin est le même, la surface est la même, mais l’impression est toute autre. Notre forme de départ nous apparaît maintenant dans cette matière si chère à l’homme, qui pendant des siècles a assuré sa supériorité ; cette matière qui est à la fois si dure qu’elle peut facilement percer la peau, mais aussi suffisamment souple pour prendre n’importe quelle forme et la garder au long des âges. De la sorte, le bronze représente l’utopie occidentale de puissance et d’immuabilité. C’est alors qu’il est confronté à nouveau à l’organique par la présence d’un encadrement en bois, la matière la plus vivante travaillée dans la sculpture. Même après avoir séché pendant des années le bois reste animé. Il est sensible à l’humidité de son milieu, à la lumière et aux êtres vivants qui y trouvent un foyer et une nourriture. Le bois est le premier outil de l’homme et sera toujours le premier lien d’attache entre l’humanité et la nature. Il reprend notre forme figée dans le métal pour l’entourer, pour la prolonger, pour réinfuser de la vie.

       C’est alors qu’un dialogue entre deux mondes s’opère : l’organique et le minéral, la tradition et la technique, le vivant et l’inerte, un passé et un présent et pourquoi pas, un passé et un autre passé ; une autre possibilité de présent. Cependant, cette conversation silencieuse, cette confrontation n’est pas une conflictualisation mais une recherche d’harmonie et d’équilibre entre deux pôles qui ne sont pas nécessairement antagoniques. C’est une proposition de réponse métaphorique à une question inhérente à l’humanité. Dans un milieu artistique qui dédaigne souvent la beauté dans une recherche obnubilée par le concept et la transgression,il se peut qu’une œuvre « décorative » devienne bannière de désobéissance. Tout comme dans un monde habitué à l’immédiateté, à la technologie, au progrès et à la dématérialisation, il se peut que le geste le plus révolutionnaire soit de prendre le temps nécessaire au travail manuel.

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